Déclaration de la victime - Shelley Marshall

Photo de Benjamin

Je veux remercier Votre Honneur et remercier la cour de me permettre de prendre la parole aujourd'hui. Avant de commencer ma déclaration en bonne et due forme, j'ai deux remarques à ajouter.

Derek, je veux que tu saches que le jour où tu es sorti de Headingley, le lundi 19 novembre, j'ai supplié Benjamin de ne pas te revoir. Je lui ai dit que je croyais que tu n'allais pas changer ta façon d'agir et que tu semblais devenir plus violent. Il m'a répondu : « Mais maman, il sort de prison et il n'a personne. C'est mon ami. Je ne peux pas l'abandonner ». Et tu es venu et tu as amené ton ami Benjamin au resto et tu l'as attiré vers sa mort.

Luke, je veux que tu saches que ma famille et moi savons exactement ce que tu as fait, comme tu le sais très bien, et un jour, tu devras faire face à un juge beaucoup plus sévère que tout ce qu'on pourrait trouver ici-bas.

Pour commencer, le jour où j'ai accouché de Ben, j'ai été en travail pendant 22 heures. Vers la fin, ils m'ont endormie et je me suis réveillée en demandant : « Est-ce que j'ai un bébé? » Et ils l'ont mis dans mes bras. Il était emmailloté dans une couverture jaune; ses yeux étaient déjà bruns, tout grand ouverts et il me fixait solennellement. Je m'en souviens comme si c'était hier.

Je me souviens tout aussi nettement du soir où la GRC est venue chez moi. Depuis la veille, désespérée, j'appelais partout pour le chercher et j'avais vu au bulletin de nouvelles qu'on avait trouvé un corps. Je me souviens des deux agents qui se sont présentés à la porte, leurs visages me disant déjà ce que je ne voulais pas savoir, mais je leur ai posé la question quand même. Je me souviens de mes mains qui ont saisi les bras du sergent Clarke tandis que je le suppliais : « S'il vous plaît, s'il vous plaît, ne me dites pas que mon bébé est mort ». Mais je savais, je savais, avant même d'entendre les mots : « Je suis désolé, Mme Marshall ». Et ce souvenir est lui aussi gravé à jamais dans ma mémoire, un souvenir qui me tourmentera jusqu'au jour de ma mort.

Je leur ai dit : « Je dois aller le voir, il a besoin que je le tienne dans mes bras », mais ils ont secoué la tête ? c'était trop tard, je ne pouvais rien faire de plus.

Et avec ces cinq mots : « Je suis désolé, Mme Marshall », le cauchemar a commencé. Je ne pouvais rien faire de plus pour Benjamin, mes bras ou mes baisers de mère ne pouvaient faire « que tout aille mieux ». Ce soir-là, j'ai promis à Ben que je serais dans cette salle d'audience aujourd'hui, pour confronter Derek et Luke, et leur raconter l'histoire de la perte d'une mère.

Il n'y a eu que Ben et moi depuis ses 18 mois et des liens étroits nous unissaient. Il était tout pour moi et l'idée que quelqu'un ait pu me l'enlever dans un seul acte bête et barbare est souvent plus que je ne peux supporter - c'est un fait impossible à assimiler. Il y a trop de pourquoi lorsqu'il est question de meurtre et il n'y a aucune réponse satisfaisante à nos prières. On ne peut que se demander sans cesse si les gens qui ont fait ça ont réfléchi un instant aux répercussions terribles que cela aurait sur tant de gens, et non le moindre, sur Benjamin.

Il ne me reste depuis cette nuit que la mémoire de mon fils et le sentiment d'être hantée par mes souvenirs de ce qui s'est passé, il y a quatre ans et onze mois de cela, quand mes pires craintes se sont concrétisées. J'aurais peut-être préféré que mon deuil reste une affaire privée entre moi et mon Dieu, mais ce processus m'a enseigné qu'il n'y a rien de privé dans un meurtre. J'estime donc qu'il est important, pour Benjamin, de vous en faire part maintenant afin que vous sachiez tous que je m'en souviendrai toujours.

Je me souviens d'avoir dû me rendre à l'appartement de Ben et d'Hélène, celui dans lequel ils avaient emménagé seulement trois semaines auparavant, celui pour lequel nous venions d'acheter la petite table et les chaises. Et nous voilà, Hélène et moi, à emballer la vaisselle et à ramasser ses vêtements. Je me souviens que nous nous sommes affalées sur le lit, en sanglots, en regardant toutes les chemises de Benjamin qui pendaient encore de façon si ordonnée dans le placard, prêtes pour lui, qui l'attendaient, et il n'était pas là.

Je me souviens d'être allée au salon funéraire pour prendre les dispositions nécessaires, d'être conduite dans la pièce où tous les cercueils sont alignés, et d'en sortir en courant, de fuir à l'extérieur de l'édifice, parce que « mon Dieu, je suis censée choisir la tombe de mon fils » - ce ne peut pas être vrai, une mère n'enterre pas son fils.

En rentrant dans le salon funéraire, je me souviens d'avoir croisé une famille d'une culture différente qui venait d'assister à une crémation et des femmes qui gémissaient. Le directeur funéraire m'a prise par les bras, pour me conduire dans une salle privée, en disant : « Vous ne devriez pas avoir à entendre ça ». Mais moi, je pensais à quel point ce serait merveilleux, comment ce serait merveilleux de pouvoir exprimer mes sentiments aussi clairement et honnêtement parce que moi aussi, je voulais m'arracher les cheveux et crier ma douleur au ciel.

Je me souviens des premiers pas de Benjamin à 11 mois, il courait d'une pièce à l'autre sur ses petites jambes potelées et venait me saisir par les genoux dans une étreinte intense, avant de repartir en courant, en riant, confiant que je serais là pour le surveiller et le protéger. Mais, au bout du compte, je n'ai pas pu le protéger. Je n'ai pas pu le sauver. Et chaque soir, je confie ma douleur à Dieu, suppliant Jésus et Marie de prendre mon bébé dans leurs bras, de le surveiller, et chaque soir, je dis à Ben : « Je suis désolée. Maman est si désolée ».

Je me souviens de Benjamin, à son premier jour d'école, vêtu de ses nouveaux kakis, son t-shirt bien rentré et son visage lumineux, en vue de poser plus tard pour une photo à son arrivée - son t-shirt déjà sorti, les cheveux déjà en bataille, mais la tête haute, le visage rayonnant, les yeux fixés sur son avenir. Mais il n'y a plus d'avenir maintenant, et aucune façon de savoir à l'époque qu'il n'y avait que 14 courtes années de vie à l'horizon pour lui.

Je me souviens d'une amie qui m'a appelée peu de temps après le meurtre de Ben, qui m'a dit : « Essaie de ne pas vivre dans l'horreur ». Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Parce que c'est l'horreur de l'acte du meurtre qui alimente le chagrin de la perte et qui l'aggrave.

Je me souviens, pendant les deux premières années, d'être étendue dans le lit le soir, me repassant sans arrêt les derniers moments de Ben, avant que les somnifères ne fassent effet. Je me demande… Le savait-il? A-t-il vu l'arme? A-t-il été confronté à cette arme par ceux qu'il considérait ses amis? Qu'a-t-il dit? S'est-il exclamé sous l'effet du choc, de la colère, ou de la peur? A-t-il essayé de fuir? J'imagine son visage au moment où il a senti les balles déchirer ses chairs. A-t-il eu le temps d'appeler au secours? A-t-il eu le temps d'invoquer Dieu? M'a-t-il appelée au secours? Je vois son corps tomber au sol, les yeux ouverts, fixes, et je me demande, est-il mort sur-le-champ? Sont-ils restés là, baissant les yeux sur lui alors que la vie le quittait? A-t-il souffert longtemps? A-t-il eu peur longtemps, mon bébé? Et je me demande comment quelqu'un peut enlever une vie, en particulier celle d'un ami, et ensuite manipuler son corps, l'emballer dans du plastique et l'attacher avec du ruban à conduits et le jeter dans une voiture comme on le ferait d'une vulgaire valise et s'en débarrasser le long de la route comme on le ferait de vulgaires déchets. " Mon Ben, mon bébé chéri, maman est si terriblement désolée. Si désolée que tu aies dû vivre cela tout seul, si désolée que tu aies été trahi, si désolée que je n'aie pas pu être là avec toi… si désolée que tu n'aies plus de vie à vivre. " Et, encore aujourd'hui, je ne peux pas dormir sans ces somnifères qui aident à repousser l'horreur et les cauchemars.

Je me souviens de Benjamin qui avait participé aux essais pour faire partie de l'équipe A au hockey alors qu'il avait neuf ans. Il était plus petit que tous les autres garçons, mais il patinait avec tant d'enthousiasme, tant de courage et de détermination pour se tailler une place dans l'équipe. Évidemment, Ben excellait à tant de sports ? le soccer, le tennis, le basketball, le badminton, le golf et son premier amour, le hockey, que mes souvenirs de lui sont comme une séquence ininterrompue de courts, de terrains et de stades. Je me souviens de ses premiers buts et des entraîneurs qui disaient toujours qu'il jouait avec tant de cœur. Aujourd'hui, son cœur ne bat plus et le mien est totalement broyé.

Mais il n'y a pas que mon cœur qui soit blessé. La perte de mon seul enfant a touché la totalité de mon être - mon esprit, mon corps et mon âme. Le chagrin m'enveloppe. Je suis toujours fatiguée, si incroyablement fatiguée. La meilleure description vient de ma mère, qui a dit : « C'est une lassitude de l'âme ». Les gestes quotidiens les plus simples deviennent difficiles, puisqu'ils nécessitent une certaine réflexion et, évidemment, de l'énergie et je n'en ai pas à revendre. La tristesse m'engourdit, mentalement et physiquement. Je suis rentrée au travail rapidement, craignant de devenir folle si je restais trop longtemps seule à la maison, mais j'ai dû arrêter de travailler de nouveau en avril pour cause de dépression. Je suis restée sur le sofa pendant un mois, sans bouger, sans dormir. Et même si j'ai finalement réintégré le quotidien, il n'a plus de sens pour moi. Je ne suis plus qu'une spectatrice indifférente, observant tout de loin. La vie, telle que je l'ai connue, est morte en même temps que Ben.

Bien sûr, comme d'autres personnes fauchées par le deuil, je me compose un visage de normalité pour le monde. Parce que c'est ce qu'on attend de nous, ou plutôt, c'est ce dont on a besoin de nous. Les amis et la famille veulent voir que nous allons mieux et nous nous apercevons rapidement que l'exposition à notre douleur est trop difficile à prendre et beaucoup trop inconfortable pour les gens qui nous entourent. Nous le réservons donc pour nos moments privés et pendant la journée, nous faisons semblant. « Comment ça va, Shelley? » « Très bien, je te remercie. » « Ça va bien » devient la réponse la plus facile, mais je veux mettre les choses au clair, je ne vais pas bien. Je n'irai jamais bien.

Je ne cesse d'être étonnée de la capacité du corps de continuer à fabriquer des larmes, parce que je pleure encore chaque jour. Parfois, les larmes coulent simplement sur mon visage, alors que d'autres fois, une douleur si grande les accompagne que ma bouche s'entrouvre de douleur sans qu'aucun son n'en sorte. Le pire, ce sont les lamentations de désespoir, à genou devant Dieu, pour le supplier de bien vouloir faire disparaître la blessure.

Il avait été question après la mort de Ben de disperser ses cendres au lac, ou de trouver un endroit spécial pour les enterrer, mais je savais qu'il resterait avec moi. Je ne pouvais supporter de m'en séparer et son urne est dans ma chambre, où elle a une place spéciale. Elle est installée sous un crucifix et entourée de ses photos; du poème spécial qu'un Ben de 16 ans m'a donné pour la Fête des mères, et de bougies d'anniversaire. Les bougies représentent le 21e anniversaire qu'il n'a pas pu célébrer, et tous les anniversaires qu'il ne célèbrera jamais. À mon décès, mes cendres seront mêlées aux siennes, afin qu'ici et au ciel, il soit avec sa mère et qu'il ne soit plus seul.

Sa mère. Ce titre était celui que je portais le plus fièrement, parce que j'ai toujours voulu être mère. Mais que suis-je maintenant? Je me sens encore comme une mère, mais je n'ai plus d'enfant à aimer. Et qu'est-ce que je dis lorsqu'on me présente à des gens et qu'ils me demandent : « Avez-vous des enfants, Shelley? » Qu'est-ce que je réponds? « J'avais un enfant, j'étais une mère ». L'énormité de la perte de ce qui constituait la part la plus importante de mon identité est telle qu'il m'a fallu plus d'un mois avant que je prenne conscience que je ne serais jamais grand-mère, que je n'assisterais jamais au mariage de mon enfant et je ne tiendrais jamais son enfant dans mes bras.

J'ai mentionné plus tôt ce poème de la Fête des mères qui m'avait tellement touchée. Il était particulièrement significatif, parce que Benjamin avait 16 ans à l'époque. Il s'était exilé en Saskatchewan pour ses études et il pensait encore à moi. Il avait choisi ce charmant poème pour l'encadrer et me l'avait fait parvenir par la poste. J'étais tellement comblée lorsqu'il m'est parvenu. Quelle importance que les frais soient apparus plus tard sur mon état de compte de l'école : mon fils s'était souvenu de moi.

Je me souviens aussi du beau panier de fleurs que Benjamin m'avait apporté à la Fête des mères avant son décès. Mais il n'y a plus de Fête des mères pour moi. Désormais, chaque année est remplie de fêtes qui ne servent qu'à transpercer mon cœur et à amplifier ma solitude. Qu'est-ce que l'Action de grâce, sans Ben à la table? Et quelle joie y a-t-il à Noël, si je ne peux voir mon fils ouvrir les cadeaux que j'ai placés sous l'arbre. Désormais, deux autres anniversaires me tourmentent : le 19 avril, le jour de sa naissance, et le 23 novembre, le jour de sa mort.

Ces souvenirs sont principalement entachés d'une tristesse accablante, mais il y a aussi de la colère. Pas souvent, parce que la colère prend de l'énergie et qu'elle est difficile à maintenir, mais j'ai vécu des moments de rage intense, de la sorte qui m'a fait bondir du lit à trois heures du matin pour entrer avec fracas dans le salon où je m'imaginais confronter les tueurs et leur cracher ma haine et mon fiel. Je serais loin d'être honnête si je n'avouais pas avoir trouvé du réconfort, au début, dans des fantasmes de vengeance. Je ne m'excuse pas non plus pour ces épisodes. N'importe quel parent connaît la colère qui surgit lorsque quelqu'un est volontairement cruel envers leur enfant - mais qu'en est-il quand quelqu'un vole la vie de votre enfant? Prenez ces sentiments et amplifiez-les des milliers de fois et vous aurez une petite idée de la furie qui m'envahit. Je suis furieuse que mon fils soit mort. Je suis furieuse que ma famille et moi ayons dû subir cette blessure des plus cruelles, que nos vies aient été si irrémédiablement altérées. Je suis furieuse que ma mère, la grand-mère de Benjamin, doive vivre ses dernières années avec cette ombre, qu'Hélène et les frères de Benjamin doivent composer avec une mort aussi traumatisante à un si jeune âge, et à dire vrai, je supporte mal le fait même de devoir être ici devant vous aujourd'hui, que j'aie même dû faire face à la tâche redoutable de préparer une déclaration de la victime.

J'ai si souvent souhaité pouvoir mourir à sa place, parce que la mort aurait été préférable à devoir endurer cette vie sans lui. Ce qui m'a le plus décontenancée à ses funérailles, c'est de prendre conscience que je ne pouvais pas m'enlever la vie pour le rejoindre, parce que je ne pouvais pas ajouter à la douleur déjà insoutenable de ma famille. Pourtant, j'ai si souvent désiré mourir. Je sentais que ma place était avec Ben, que les autres pourraient très bien se passer de moi, mais que mon fils avait besoin de moi. Quel but la vie ici pouvait-elle avoir pour moi, sans lui? Mais je savais aussi que je ne voulais pas commettre un acte aussi irréversible. J'ai donc plutôt demandé à Dieu de m'emporter de la façon qu'Il le jugeait bon, que mon travail ici était terminé et que j'étais prête à rejoindre Ben. À d'autres occasions, par colère ou par désespoir, j'ai faibli et j'ai planifié ma mort, et mes adieux - un dernier message à l'intention des auteurs de ce crime et de cette cour, qui se liraient comme suit : « Voici mon corps. Vous avez pris ma vie quand vous avez pris la sienne. Voilà ma déclaration de victime ».

Donc, pourquoi suis-je quand même ici? Évidemment, parce que j'ai une obligation, une promesse faite à Ben de vous parler aujourd'hui, mais c'est beaucoup plus que cela. Je dois ma capacité à continuer de me lever chaque matin et de faire face à chaque journée à la constance de Dieu, à son amour et son soutien toujours présents. Les gens m'ont dit : « Je ne sais pas comment tu fais, Shelley. Tu es si forte ». Pourtant, je viens tout juste de vous faire part de ma faiblesse, de ma colère et de mon désespoir. Manifestement, cette force n'est pas la mienne. C'est une force qui me vient de Dieu. C'est Dieu qui me porte. C'est la plus grande bénédiction qui soit ressortie de tout cela, une bénédiction qu'il est important que vous connaissiez tous, peu importe la crise que vous pourriez subir dans votre vie. Nos prières sont exaucées. Nous ne faisons vraiment jamais face à une tragédie tout seul. Je vous assure, Dieu a tout entendu de ma part et tout du long, il a apaisé ma colère et séché mes pleurs et toujours, au fond de mon cœur, je sais que Benjamin est en sécurité sous son aile. Toutefois, c'est ma foi même en Dieu, et ma gratitude pour sa bonté et sa miséricorde, qui créent pour moi ma deuxième difficulté la plus lourde. La difficulté de pardonner, parce que Jésus ne nous a pas seulement dit d'aimer nos amis, il nous a aussi demandé de faire preuve d'amour et de compassion envers nos ennemis. C'est ce qui me trouble tellement que le soir, quand je récite le Notre Père, je le modifie : « Pardonne-nous nos offenses comme nous essayons de pardonner à ceux qui nous ont offensés ». De fait, dès le début, j'ai dit à Dieu que je ne pardonnerais jamais ceux qui ont tué mon fils, et je ne souhaitais pas non plus qu'Il envisage de le faire. Mais le temps a passé et j'accepte qu'il n'y ait pas de péché que Dieu ne puisse pardonner si des remords sincères sont exprimés. J'en suis même venue à accepter que pour Derek et Luke, un temps leur a été accordé pour qu'ils retrouvent Dieu et connaissent sa miséricorde, et je le leur souhaite. Néanmoins, je ne suis qu'humaine et je n'ai pas encore atteint ce stade, mais je crois qu'à force de prières, et par la grâce de Dieu, ce moment est à ma portée et qu'il viendra un temps où je pourrai regarder ceux qui ont pris la vie de Ben et dire en toute vérité et honnêteté : « Je vous pardonne ».

Toujours au sujet de ma foi, une autre lutte dans tout cela a été de devoir être face à face avec le Mal, parce que le meurtre est une manifestation du Mal. Bien entendu, je savais avant la mort de Ben que le Mal existait dans le monde. Mais dans mon monde, le Bien est censé triompher du Mal et le meurtre de Ben a ébranlé les fondations mêmes de ma croyance dans le pouvoir du Bien, parce que vu son décès, il semblait si évident que le Mal avait triomphé. J'avais tort. Parce que si son décès m'a mise face au pire que la nature humaine a à offrir, il m'a aussi mise face à ce qu'elle a de mieux. J'ai été témoin de tant de bonté dans le débordement de soutien de la part d'amis et d'étrangers. J'ai été témoin de tant de bonté chez ceux qui ont travaillé si dur et si longtemps pour rendre justice à Ben et chez ceux qui, par suite du décès de Ben, ont pu changer le cap de leur vie pour le mieux. J'ai pu voir que Dieu fait vraiment en sorte que « toutes choses concourent au Bien ». Mon dernier espoir maintenant, c'est que grâce à cette stratégie, je saurai trouver un but renouvelé à ma vie, que Dieu pourra utiliser ma douleur et ma peine pour transformer la vie d'autres personnes pour le mieux. Cet espoir me soutient aussi et me permet maintenant de prier avec un certain degré de consolation et d'acceptation, et de dire : « Que Ta volonté soit faite ».

J'ai un dernier souvenir dont je veux vous faire part. Comme tant d'enfants et leurs parents, Ben et moi avions un rituel spécial au coucher. Il venait dans ma chambre pour me parler, et c'était toujours suivi de ce dernier échange :

Mais maintenant, il n'y a pas de demain, et pas de mots pour bien décrire les profondeurs de ma douleur. Votre Honneur, j'ai embrassé mon bébé dans sa tombe. Que dire de plus?